Réparer les vivants

Simon, 19 ans, rentre avec ses amis d’une « session » matinale de surf. D’un coup, c’est le drame : accident, coma, hémorragie cérébrale. Les médecins ne peuvent rien faire, les lésions sont irréversibles. Maylis de Kerangal, dans son livre Réparer les vivants, tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer durant 24 heures exactement pour que cette mort prématurée et insupportable ouvre à la vie.

 

Au fil des pages, l’auteure nous plonge dans l’âme de Marianne, la maman de Simon. Elle décrit avec poésie et de belles métaphores son immense solitude pour recevoir cette nouvelle, son courage pour la dire à Sean, le papa, dont elle est séparée et qu’elle va retrouver dans ce malheur. On découvre ses doutes et ses souvenirs devant le corps de Simon, ses interrogations face à la demande des médecins. Comment accepter de voir des parties du corps de son fils prélevées pour d’autres ?

Quand tout s’achève, Marianne écrasée par la douleur, regarde la nuit : «Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. Que subsistera-t-il, dans cet éclatement de l’unité de son fils ? Comment raccorder sa mémoire singulière à ce corps diffracté ? Qu’en sera-t-il de sa présence, de son reflet sur Terre, de son fantôme ?

Ces questions tournoient autour d’elle comme des cerceaux bouillants puis le visage de Simon se forme devant ses yeux, intact et unique. Il est irréductible, c’est lui. Elle ressent un calme profond. La nuit brûle au dehors comme un désert de gypse. »

Et puis il y a Thomas, infirmier de la cellule de coordination des prélèvements d’organes et de tissus. Il est le lien entre l’hôpital – avec « ses procédures hyper calibrées dans un cadre juridique dense et stricte, dépliées selon une temporalité précise » – et les parents de Simon, indécis de douleurs qui vont l’écouter parce « qu’il a eu pour eux un regard juste – ce regard qui les gardait du côté des vivants ». Ils ont à peine réalisé le drame qu’ils doivent prendre une lourde décision. Alors Thomas, avec empathie, écoute, explique, attend, rassure.

Au bloc opératoire, il sera le gardien de l’humanité de Simon en lui faisant écouter la voix aimante de ses parents juste avant l’arrêt de son cœur. Et quand tout sera fini c’est lui qui prendra soin du corps de Simon, « ce corps que la vie a éclaté retrouvera son unité sous la main de Thomas qui le lave, dans le souffle de la voix qui chante et qui reconstruit sa singularité pour le propulser dans un espace post mortem que la mort n’atteint plus, celui de la gloire immortelle, celui de la mythographie, celui du chant et de l’écriture ».

Nathalie Rajot

Terreur de Jeunesse, de David Vallat: le parcours d’un repenti

Tout en sincérité et simplicité, David Vallat  nous raconte son parcours au travers de son livre Terreur de jeunesse. Ancien terroriste repenti, il décrit comment un jeune  de banlieue, français d’origine, va peu à peu se radicaliser au point  d’être incarcéré pour son implication dans les attentats de 1995. Comment sombre-ton dans le terrorisme ? Comment peut-on faire machine arrière et entamer le processus de déradicalisation ?

 

Une recherche de repère

Jeune de banlieue, les petits larcins sont monnaie courante. La religion ne fait pas partie de la culture familiale, mais David Vallat s’interroge: « dans le quartier […]  la plupart de mes copains sont arabes d’origine. Et donc musulmans. Leurs parents, issus de la première génération pratiquent une foi tranquille et discrète ». « Des repas, un sens de l’accueil, du partage » l’amèneront à se convertir à l’islam à l’âge de 15 ans. Mais, en parallèle, cela ne l’empêche pas de s’enfoncer petit à petit dans la délinquance.

 

Des mauvaises rencontres et de mauvais choix

A la prière, des courants intégristes voient le jour : «  vous avez un islam d’endormis » adressent certains aux plus anciens. Nous sommes en 1991. Des recrutements s’organisent pour aller combattre auprès  des musulmans en Bosnie. David Vallat commence à s’interroger… Il s’engage alors dans l’armée chez les chasseurs alpins où il trouve une autorité  mais  se perfectionne aussi au maniement des armes.

La Bosnie, puis un séjour en camp d’entraînement en Afghanistan l’entraîne sur la mauvaise pente. A son retour d’Afghanistan, David Vallat se trouve enrôler dans les réseaux du GIA et sera un rouage de l’organisation des attentats de 1995 en France. « Dans le passé, la jeunesse enragée pouvait se tourner vers l’extrême droite ou l’extrême gauche  […] Sur le marché  des idéologies subversives, que reste-t-il en 1995 ? Un islam radical prêt à mettre la main sur une frange entière de la jeunesse française ? […]La terreur est au bout de l’impasse ».

 

Une déradicalisation possible

Son emprisonnement  pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour son implication dans les réseaux du GIA, la lecture et diverses  rencontres lui permettront d’avoir un nouveau regard sur sa religion. « Mon esprit commençait à prendre du recul, à douter des réelles motivations de mon combat. ». Incarcération, lecture et heureuses rencontres lui permettront ainsi d’entamer le processus de déradicalisation. David Vallat n’a pas renié sa foi musulmane. « Seule ma lecture du Coran a changé. »

Cécile CHUZEVILLE

Idée de lecture « Le Voyant » : Une vie folle racontée par Jérôme Garcin (nrf).

Jérôme Garcin, journaliste connu comme animateur puis producteur dans « Le Masque et la Plume » et directeur adjoint à l’Obs, est connu aussi comme écrivain. Le Voyant, écrit en 2014, a reçu de nombreux prix. Jérôme Garcin y consacre avec enthousiasme la vie de Jacques Lusseyran.

Jacques Lusseyran, né en 1924, est devenu aveugle à 8 ans. Une petite bousculade en classe (ses lunettes mal placées) lui fait perdre les yeux ! Sa mère veut qu’il soit un aveugle parmi les voyants. Pas de plaintes, pas de regrets, il cherche la paix en lui-même et une harmonie avec le monde : « La lumière, je la retrouverai au-dedans de moi ». À 10 ans, il entre en sixième avec sa machine à écrire en braille. De son handicap, il fit un privilège : le « dehors » n’est pour lui qu’une illusion. Avec son ami et aide, Jean Besniée, ils travaillent, lisent beaucoup.

1939, voici la guerre, il a 15 ans. Il regroupe des élèves qui se désignent « Volontaires de la liberté ». Les voici trois cents, ils rejoignent le réseau « Défense de la France » de Philippe Viannay et de Jacqueline Pardon, et entrent en Résistance.

En 43, le voici arrêté sur dénonciation. Après six mois à Fresnes, il est déporté à Buchenwald. Il vit dans un block « poubelle » des infirmes, avec des rations diminuées. Il est épargné aux commandos de travail. Enfermé là-dedans, il pense aux couleurs, il se ferme au monde extérieur. Il apprend la mort de Jean Besniée, et devient presque fou. Un Russe, par son chant, le remet un peu mieux.

Les vies d’un homme livre

Mars 1945, l’armée américaine arrive. Son ami Viannay vient le libérer. Il retrouve Jacqueline Pardon. Elle, le voyant anémié, décide de l’épouser. Un « sacerdoce » qui durera huit ans… Ils veulent faire une reprise de Défense de la France. Échec. Il veut se présenter à l’Ena : non accepté pour les aveugles !

Un non-voyant mal-aimé. Donne quelques conférences à l’Alliance française. Il bouge beaucoup, quitte Jacqueline Pardon, épouse Jacqueline Hospitel, rencontre Georges Saint-Bonnet, une sorte de gourou qui l’influence beaucoup. Le voici maintenant en Amérique.

 Il enseigne au Hollins College en Virginie. Il parle de littérature et de philosophie en homme libre : un homme-livre. On loue ce professeur, et sa culture encyclopédique. Il se noue avec Toni, une étudiante : scandale. Il quitte les États-Unis, part en Grèce, puis s’installe à Aix-en-Provence. Il écrit un roman d’inspiration. Gallimard publie Douce, trop douce Amérique. Une vie folle, trois fois marié, cent fois conquis, infidèle à toutes. En 1971, accident de voiture avec Marie. Elle a 30 ans, et lui 47 ans. Il laisse quatre enfants, une demi-douzaine de livres, des contes, des pièces, une thèse… Un aveugle dont les exploits fascinent les étrangers.

Le Moi était pour lui la seule richesse de ceux qui n’ont rien.

Antoine Buffet